7 signaux faibles du mal-être au travail que les managers doivent savoir repérer !
Introduction — Le mal-être ne se manifeste pas toujours comme on l’imagine
En matière de santé au travail, on entend souvent parler des conséquences visibles du mal-être : arrêts maladie à répétition, burn-out, démissions soudaines, conflits ouverts. Mais ces événements ne surviennent jamais sans signes avant-coureurs. Ce que l’on appelle des signaux faibles.
Ces signaux sont discrets, parfois ambigus. Ils peuvent passer inaperçus dans la routine quotidienne, ou être minimisés. Et pourtant, ils représentent une opportunité cruciale de prévention. Les repérer, c’est agir avant qu’il ne soit trop tard.
Dans cet article, nous allons explorer en profondeur ces 7 signaux faibles du mal-être au travail, leur signification, leurs formes concrètes, et surtout, les clés pour les identifier et y répondre de manière pertinente et humaine.
I. Pourquoi parler de « signaux faibles » en santé au travail ?
1.1. Une notion issue de la gestion des risques
Le concept de signal faible est emprunté au domaine de la sûreté et du management des risques. Il désigne une information partielle, ambigüe ou précoce qui, si elle est interprétée correctement, peut permettre d’anticiper une situation critique.
En santé au travail, c’est exactement cela : des comportements, des paroles, des symptômes qui ne constituent pas à eux seuls une alerte, mais qui mis en perspective, peuvent indiquer un déséquilibre psychique ou émotionnel en cours de formation.
1.2. Une approche proactive du bien-être
Attendre qu’un salarié s’effondre ou que le conflit éclate, c’est de la réparation. Identifier les signaux faibles, c’est prévenir. Et cette prévention, pour être efficace, doit s’inscrire dans une écoute active du terrain : managers, collègues, RH, professionnels de santé au travail sont tous concernés.
1.3. Des indicateurs précieux… mais souvent minimisés
Pourquoi passe-t-on à côté de ces signaux ? Par peur d’être intrusif. Par manque de temps. Par méconnaissance aussi. Savoir les reconnaître, c’est donc avant tout apprendre à voir autrement.
II. Les 7 signaux faibles de mal-être à repérer (avec illustrations concrètes)
2.1. Le changement de comportement soudain
➤ De quoi s’agit-il ?
Un salarié habituellement sociable devient effacé. Une personne impliquée devient distante. Un collaborateur vif devient lent, hésitant.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
C’est la rupture avec la ligne de base comportementale qui compte. On ne compare pas les gens entre eux, mais chacun à lui-même. Ce changement peut indiquer :
- Une perte d’intérêt
- Une fatigue mentale
- Une surcharge émotionnelle
➤ Exemple de situation :
Claire, comptable depuis 8 ans, avait l’habitude de plaisanter avec ses collègues. Depuis quelques semaines, elle reste silencieuse, arrive pile à l’heure et mange seule. Elle fait toujours son travail, mais quelque chose a changé.
2.2. La fatigue persistante (non récupérable)
➤ De quoi s’agit-il ?
Le salarié évoque une fatigue récurrente, même après le week-end. Il peine à démarrer le matin, bâille en réunion, semble absent ou ralentit dans ses tâches.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
La fatigue est un marqueur physiologique de déséquilibre. Lorsqu’elle persiste malgré le repos, c’est souvent le signe :
- D’un stress chronique
- D’un début de surmenage
- D’un trouble du sommeil lié à l’anxiété
➤ À observer :
- Diminution de la vigilance
- Erreurs d’inattention
- Désengagement progressif
2.3. L’irritabilité et les tensions inhabituelles
➤ De quoi s’agit-il ?
Le ton monte plus vite, les remarques sont plus sèches. Le salarié supporte moins bien les imprévus ou les critiques.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
L’irritabilité est une manifestation indirecte du stress ou de l’impuissance. Elle peut aussi refléter :
- Une perte de contrôle perçue
- Un sentiment d’injustice ou de surcharge
- Une défense contre un mal-être non verbalisé
➤ Cas typique :
Marc, chef d’équipe reconnu pour son calme, s’énerve violemment lors d’un brief. Ce n’est pas dans ses habitudes. Son comportement masque un épuisement accumulé depuis des mois.
2.4. La chute de performance ou de motivation
➤ De quoi s’agit-il ?
Une baisse notable dans la qualité ou la quantité de travail : retards, oublis, erreurs inhabituelles, tâches non finalisées, désengagement. Le salarié semble “en pilote automatique”, comme détaché de ce qu’il fait.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
Dans de nombreux cas, cette chute n’est pas liée à un manque de compétences ou de volonté, mais à un épuisement cognitif ou émotionnel. On observe souvent :
- Une perte de concentration
- Un effondrement de l’estime de soi
- Une déconnexion entre l’individu et le sens de son travail
➤ Exemple de situation :
Fatima, assistante de direction rigoureuse, commence à faire des erreurs dans ses tableaux, à oublier des rendez-vous, à remettre ses réponses à plus tard. Elle ne s’en cache pas : “je n’ai plus la tête à ça…”
2.5. Le repli social
➤ De quoi s’agit-il ?
Un collaborateur commence à éviter les interactions sociales : il ne participe plus aux pauses, décline les invitations collectives, se montre absent des échanges informels, même en visio.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
L’isolement progressif est souvent une réaction défensive : la personne se protège, par peur de l’effondrement, du jugement ou simplement parce qu’elle n’a plus l’énergie relationnelle. Il peut aussi s’agir :
- D’un début de dépression
- D’un sentiment de honte ou d’inutilité
- D’une perte totale d’intérêt pour le collectif
➤ Indice :
Le salarié se met “en mode automatique” : il travaille, mais il ne vit plus dans le collectif.
2.6. Les plaintes somatiques récurrentes
➤ De quoi s’agit-il ?
Migraines, troubles digestifs, douleurs cervicales, fatigue musculaire, insomnies… parfois associés à un rythme de travail inchangé.
➤ Pourquoi c’est un signal ?
Le corps exprime ce que le mental retient. De nombreux troubles somatiques sont liés à un état de stress chronique, à une souffrance émotionnelle ou à une charge mentale excessive.
➤ Ce qu’on entend souvent :
“J’ai tout le temps mal à la tête mais les examens n’ont rien montré.”
“Je dors mais je ne me repose pas.”
“Je sens une boule au ventre dès le dimanche soir.”
2.7. Le discours de résignation
➤ De quoi s’agit-il ?
Le salarié semble désabusé, indifférent, ou cynique. Il exprime un sentiment d’impuissance, parfois avec ironie ou lassitude :
“Faut faire avec.”
“On sait comment ça se passe ici.”
“Je ne m’investis plus, j’ai donné.”
➤ Pourquoi c’est un signal ?
Ce type de discours reflète souvent une perte profonde de motivation, une désillusion durable, voire une forme de déconnexion affective vis-à-vis de l’entreprise. On n’est plus dans l’engagement, mais dans la survie mentale.
III. Que faire quand on observe un ou plusieurs signaux faibles ?
Repérer ces signes ne signifie pas diagnostiquer. Cela signifie prendre en compte ce que l’on voit, et oser engager le dialogue. Voici les étapes essentielles pour réagir de façon humaine, adaptée, et respectueuse.
3.1. Observer sans interpréter
Il s’agit d’abord d’être attentif. Pas de tirer des conclusions hâtives, mais de recueillir des éléments factuels :
- Depuis quand ce comportement est-il apparu ?
- Est-ce isolé ou récurrent ?
- D’autres collègues ont-ils perçu un changement similaire ?
3.2. Ouvrir un espace d’écoute
“J’ai remarqué que tu sembles moins en forme ces derniers temps. Tu veux en parler ?”
“Je suis là si tu as besoin. Même pour en parler hors du cadre du travail.”
⚠️ Il est préférable de ne pas poser de diagnostic, ni de minimiser :
- Éviter : “Tu fais un burn-out ?”, “Tu vas pas bien ou quoi ?”
- Préférer : “Tu veux qu’on en discute ?”, “Comment tu vis les choses en ce moment ?”
3.3. Proposer un relais adapté
Si le salarié est en souffrance manifeste, il est important de lui proposer un relais professionnel, sans jamais le forcer :
- Prise de contact avec le service de santé au travail
- Mise en lien avec les RH, un référent RPS, une cellule d’écoute si elle existe
- Accompagnement pour consulter un médecin traitant ou un psychologue
Le rôle du collectif n’est pas de soigner, mais de ne pas laisser seul.
3.4. Documenter les faits si besoin
Dans un cadre managérial ou RH, il peut être pertinent de noter les faits observables, sans jugement, surtout si les signaux faibles évoluent vers des signes plus graves ou des impacts collectifs.
IV. Intégrer la détection des signaux faibles dans une culture de prévention durable
Les signaux faibles ne doivent pas être seulement repérés ponctuellement, en réaction à une situation visible. Ils doivent devenir un indicateur structurant de la culture managériale et de la politique de prévention.
Voici les leviers concrets pour ancrer cette posture à l’échelle d’une organisation.
4.1. Former les acteurs de proximité à l’observation bienveillante
Les managers de proximité, les représentants du personnel, les référents QVCT ou RPS, ou encore les infirmier·es de santé au travail sont souvent les premiers témoins de signaux faibles.
Former ces acteurs à :
- Repérer les comportements inhabituels,
- Mener un échange en posture d’écoute active,
- Connaître les relais internes (médecin du travail, RH, assistants sociaux…),
c’est leur donner les moyens d’agir sans crainte ni maladresse.
➡️ Exemple de formation utile : “Repérage précoce des situations de souffrance au travail” (INRS, ANACT, etc.)
4.2. Inscrire l’observation dans les pratiques managériales courantes
Un manager n’a pas à devenir psychologue. Mais il peut :
- Créer des rituels de prise de nouvelles (ex : “check-in” en début de réunion),
- Mettre en place des entretiens réguliers informels (mensuels ou trimestriels),
- Développer une relation de confiance qui permet à chacun de signaler une difficulté.
Ce sont souvent les contextes bienveillants qui font émerger la parole, bien plus que les dispositifs formels.
4.3. Favoriser les espaces d’expression collectifs
Des groupes d’échange, des temps de régulation d’équipe, des baromètres sociaux bien utilisés permettent de repérer les dynamiques collectives de mal-être, souvent invisibles à l’échelle individuelle.
Par exemple :
- Une équipe qui ne se parle plus,
- Une ambiance de travail qui se tend,
- Une perte de cohésion entre services.
Les signaux faibles peuvent alors être systémiques : ils concernent l’organisation du travail elle-même.
4.4. Mettre en place un système de veille partagée
Dans certaines entreprises, on formalise une veille RPS, ou un tableau de bord bien-être, dans lequel :
- On suit l’évolution d’indicateurs (absentéisme, turnover, retards, erreurs, conflits),
- On croise ces données avec des observations terrain (RH, santé au travail, managers),
- On échange régulièrement en cellule de prévention.
L’objectif n’est pas de surveiller, mais de croiser les regards pour ne pas passer à côté d’une dégradation silencieuse.
4.5. Communiquer clairement sur les relais disponibles
Même quand les signaux faibles sont repérés, certains salariés n’osent pas demander de l’aide. Par crainte d’être jugés, de perdre leur poste, d’être considérés comme fragiles.
Il est donc essentiel de :
- Rappeler régulièrement l’existence du service de santé au travail, des dispositifs internes, du médecin du travail.
- Rendre visibles les contacts, les modalités de prise de rendez-vous.
- Dédramatiser l’accès à un soutien psychologique ou social.
Un salarié qui sait vers qui se tourner aura plus de chances d’agir à temps.
V. Passer de l’observation à l’action : outils, postures, intégration dans les pratiques RH
Repérer les signaux faibles est une première étape. Mais que faire ensuite, concrètement ?
De nombreux professionnels — managers, RH, préventeurs — se sentent démunis, parfois isolés, face à la souffrance silencieuse d’un collègue ou d’un collaborateur.
Voici comment structurer une réponse adaptée, sans dépasser son rôle, tout en intégrant cette vigilance dans les pratiques existantes de l’entreprise.
5.1. Outiller les managers de proximité : donner des repères concrets
Tous les managers ne sont pas formés à la prévention des risques psychosociaux. Pourtant, ils sont souvent en première ligne pour repérer les signaux faibles.
Ce dont ils ont besoin :
- Une check-list de vigilance (ex. : 7 signes à observer)
- Un guide de conversation type, pour initier un échange sans maladresse :
“J’ai remarqué que tu sembles plus tendu que d’habitude. Tu veux en parler ?”
- Une fiche repère “3 étapes” :
- Observer objectivement
- Ouvrir un échange bienveillant
- Proposer un relai, sans forcer
Ce type d’outillage leur permet d’agir sans s’improviser psychologue, et de ne pas rester seuls face à une situation délicate.
5.2. Intégrer la détection dans les rituels RH existants
Le repérage des signaux faibles ne doit pas être un “dispositif à part” : il gagne à être inclus dans les processus déjà en place.
Voici des leviers simples :
- Entretien annuel : intégrer une question sur le vécu émotionnel du travail (“Qu’est-ce qui vous pèse le plus dans votre quotidien professionnel ?”)
- Briefs hebdomadaires : introduire un court “check-in émotionnel” (“un mot sur comment je me sens cette semaine”)
- Onboarding : sensibiliser les nouveaux arrivants à la culture d’écoute et aux relais en cas de difficulté
- Entretiens de retour après absence : ne pas se limiter à l’opérationnel, mais prendre un moment pour évoquer le vécu du retour
En intégrant la culture du soin et de l’attention à l’autre dans les pratiques courantes, on passe d’une logique de réaction à une posture préventive intégrée.
5.3. Clarifier les rôles et les limites : où s’arrête le rôle de l’employeur ?
Il est fondamental de rappeler que l’entreprise :
- n’a pas à diagnostiquer, ni à traiter une souffrance psychologique,
- ne peut pas ignorer un salarié en détresse apparente (obligation de sécurité),
- mais doit agir dans un cadre clair et respectueux des limites de chacun.
Ce que l’on peut faire :
- Observer, accueillir, orienter.
- Proposer un lien vers le service de santé au travail, les dispositifs internes ou un médecin.
- Mettre en œuvre des mesures d’aménagement (organisationnelles, horaires, poste).
Ce que l’on ne doit pas faire :
- Forcer une confidence.
- S’improviser thérapeute.
- Exiger des détails médicaux ou personnels.
Rester dans son rôle, c’est aussi ne pas laisser seul, tout en orientant vers les bons relais.
5.4. Et quand c’est le manager qui va mal ?
Un angle souvent oublié : le manager lui-même peut être en souffrance. Or, par culture ou pression, il se sent souvent inapte à exprimer son mal-être.
Les signaux sont les mêmes : irritabilité, isolement, désengagement, repli, fatigue persistante.
Ce qu’une organisation peut faire :
- Former les encadrants à l’auto-observation et à l’écoute mutuelle entre pairs
- Proposer des espaces de régulation spécifiques pour les managers
- Encourager la prise de recul par le biais de coaching, supervision ou cellules d’écoute
Un manager en souffrance non accompagné devient un maillon fragile du système de prévention — et parfois, un facteur de risque pour son équipe.
6. Conclusion — Voir autrement, pour agir autrement
Le mal-être au travail n’est pas toujours spectaculaire. Il est souvent discret, lent, progressif. Il se glisse dans les silences, les absences, les soupirs, les “ça va” mécaniques.
Apprendre à repérer les signaux faibles, c’est acquérir une forme d’intelligence relationnelle et organisationnelle.
C’est accepter de voir l’humain derrière les chiffres, de s’intéresser à ce qui ne se dit pas encore… mais qui commence déjà à peser.
Prévenir la souffrance au travail, ce n’est pas attendre qu’elle devienne visible.
C’est apprendre à la deviner. Et tendre la main, avant qu’il ne soit trop tard.
Réfèrences et ressources externes :
Les signaux faibles évoqués ici s’inscrivent dans une dynamique plus large de prévention des risques psychosociaux. L’INRS en propose une lecture synthétique et utile pour toute organisation soucieuse de la santé mentale de ses équipes.
Dans une logique de prévention, il est essentiel que les managers soient sensibilisés à ces signaux faibles. L’Anact propose plusieurs repères concrets pour mieux agir face à la souffrance de leurs collaborateurs.
Une fiche pratique proposée par le ministère de la Transition écologique, avec outils et repères concrets.