Gemba Walk et prévention HSE : observer le terrain autrement pour renforcer la culture sécurité
I - Introduction à la gemba walk
On parle beaucoup de terrain en prévention HSE.
De proximité, de présence, de réalité concrète.
Mais trop souvent, ces mots restent des intentions. Ou des routines vidées de leur sens.
Aller sur le terrain ne suffit pas. Encore faut-il observer autrement.
Pas pour contrôler. Pas pour cocher une case.
Mais pour voir ce que les indicateurs ne montrent pas, entendre ce que les tableaux de bord taisent, et comprendre ce que vivent vraiment les équipes.
C’est précisément tout l’enjeu de la Gemba Walk, une pratique issue du Lean management, que l’on peut adapter à la prévention HSE pour sortir d’une approche purement procédurale.
Aller là où les choses se passent. Observer avec attention. Questionner avec respect. Et agir avec discernement.
Dans une démarche HSE, la Gemba Walk devient bien plus qu’un outil.
C’est une posture de management sécurité, un lien direct entre la culture sécurité et la réalité du terrain.
Et surtout, c’est un levier concret pour faire émerger une prévention active, partagée, vivante.
II – Gemba : de quoi parle-t-on ?
Le mot Gemba vient du japonais et signifie « le vrai lieu ».
Dans l’esprit du Lean, c’est l’endroit où la valeur est créée, où les choses réelles se passent. En HSE, c’est aussi là où les risques s’expriment, où les écarts surgissent, où la sécurité se joue, chaque jour.
Aller au Gemba, c’est sortir du bureau pour aller là où les actes comptent.
C’est passer du discours sur la sécurité… à l’observation de sa réalité.
Les 3 principes fondateurs d’une Gemba Walk
Une Gemba Walk n’est pas une inspection. Ce n’est pas une tournée d’encadrement.
C’est une démarche avec trois intentions simples :
- Observer
Voir sans filtres. S’intéresser aux gestes, aux enchaînements, aux zones d’ombre. Repérer les décalages entre le prévu et le réel. - Questionner
Aller à la rencontre. Poser des questions ouvertes, chercher à comprendre sans juger. Valoriser l’expertise du terrain. - Apprendre
Repartir avec des idées, des signaux, des enseignements. Ne pas chercher à tout corriger tout de suite — mais nourrir une amélioration continue, ancrée dans le vécu.
Ce que la Gemba Walk n’est pas
- Ce n’est pas une tournée punitive.
- Ce n’est pas un moment pour faire passer un message descendant.
- Ce n’est pas un audit déguisé.
Une vraie Gemba Walk est une rencontre sincère entre la réalité du terrain et la volonté de progresser ensemble.
III - Pourquoi la Gemba Walk est utile en HSE
En matière de prévention, les meilleurs indicateurs ne sont pas toujours dans les tableaux de bord.
Ils sont dans un geste hésitant, une organisation bricolée, un salarié qui s’adapte en silence.
La Gemba Walk permet justement de remettre l’observation au centre de la démarche HSE.
Pas pour pointer les écarts, mais pour comprendre les logiques de terrain, les adaptations, les signaux faibles.
Une posture de prévention incarnée
Trop souvent, la prévention est perçue comme une affaire de procédures ou de statistiques.
Avec la Gemba Walk, on remet du corps dans la démarche : on va voir, on écoute, on s’intéresse.
Cela redonne du sens à la sécurité, et renforce la légitimité de ceux qui la portent.
Une lecture fine des risques réels
Les plans de prévention parlent rarement des petits contournements quotidiens, des zones floues, des compromis entre production et sécurité.
La Gemba Walk permet de capter ces signaux-là.
Et donc d’intervenir avant que le risque ne se concrétise.
Un outil de dialogue et de reconnaissance
Aller sur le terrain pour écouter, et pas seulement pour vérifier, c’est rare. Et donc précieux.
La Gemba Walk devient un acte de reconnaissance, un moment où l’on valorise ce que les opérateurs font, voient, savent — et qu’on n’interroge pas assez souvent.
Un maillon clé de la culture sécurité
Ce qu’on observe, ce qu’on questionne, ce qu’on valorise… façonne la culture.
En intégrant des Gemba Walk régulières dans les pratiques managériales, on montre que la sécurité n’est pas un sujet à part, mais un critère réel de performance et de qualité du travail.
La Gemba Walk ne remplace ni les audits, ni les procédures, ni les indicateurs.
Mais elle permet de leur donner du relief, du contexte, du sens.
Et ça change la manière dont la prévention est perçue… et vécue.
IV - Préparer une Gemba Walk sécurité efficace
Une Gemba Walk ne s’improvise pas. Elle doit être simple, mais pas floue. Spontanée, mais cadrée.
C’est ce mélange entre structure et écoute ouverte qui lui donne toute sa puissance.
Voici les points clés pour la préparer dans une logique HSE.
- Définir un objectif clair (mais modeste)
Voulez-vous observer les flux de circulation ? Les comportements en zones à risque ? Les postes à forte contrainte physique ?
Mieux vaut un objectif précis et ciblé qu’une observation trop large.
Exemples :
- “Observer l’application des gestes sécurité au poste de conditionnement”
- “Identifier les irritants liés aux EPI sur la ligne de production”
- “Repérer les écarts entre consignes écrites et pratiques réelles en zone logistique”
- Choisir une zone, un moment, une équipe
Inutile de viser tout le site dès la première fois.
Une zone bien choisie, un horaire pertinent (changement d’équipe, pic d’activité, début de poste…), et une équipe volontaire peuvent faire toute la différence.
- Informer, rassurer, expliquer la démarche
Une Gemba Walk ne doit jamais être perçue comme une inspection surprise.
Il est essentiel d’expliquer en amont la logique :
“On vient observer pour comprendre. Pas pour juger. Pas pour sanctionner.”
Prenez quelques minutes pour cadrer la démarche avec les équipes.
Le climat de confiance conditionne 80 % de la réussite.
- Préparer un support simple d’observation
Liste de points à regarder, rubriques à noter, questions à poser…
Un support léger (check-list ou fiche A5) permet de garder le cap sans transformer la visite en audit.
Mais attention : l’outil doit rester au service de l’échange.
Le contact humain passe avant la case à cocher.
- Venir à deux (si possible)
Une Gemba Walk peut être menée en binôme : un animateur HSE + un manager de proximité, ou un responsable maintenance + un opérateur.
Cela facilite les échanges et donne plus de légitimité au regard croisé.
La réussite d’une Gemba Walk ne se joue pas sur la technique.
Elle repose sur la clarté de l’intention, la qualité de l’écoute, et la simplicité du dispositif.
V. Pendant la Gemba Walk : que regarder, que dire ?
Une fois sur le terrain, la Gemba Walk devient un moment d’observation et de relation.
Il ne s’agit pas de “surveiller” ni de “faire parler les gens”, mais d’être présent avec attention, avec curiosité, et avec respect.
Voici les attitudes et réflexes à adopter pour tirer tout le potentiel de cette démarche.
Observer sans juger
Regardez les gestes, les déplacements, l’environnement immédiat :
- Les protections sont-elles utilisées ?
- Les cheminements sont-ils respectés ?
- Les outils sont-ils bien placés ?
- L’ambiance semble-t-elle tendue, routinière, vigilante ?
Mais surtout : repérez les adaptations, les contournements, les petits arrangements avec les règles.
C’est souvent là que se cachent les vrais signaux faibles.
Questionner sans interroger
Oubliez les “Pourquoi tu fais ça ?” ou “Tu sais que c’est interdit ?”
Préférez des questions ouvertes, centrées sur le vécu :
- “Qu’est-ce qui est le plus compliqué dans ton poste en ce moment ?”
- “Est-ce qu’il t’arrive de devoir t’adapter pour tenir les délais ?”
- “Si tu avais une baguette magique pour améliorer ta sécurité ici, tu ferais quoi ?”
Ces questions simples ouvrent souvent des portes inattendues.
Noter, mais pas trop
Prenez des notes brèves, mais n’interrompez pas l’échange pour écrire.
Montrez que vous êtes là pour comprendre, pas pour enquêter.
Notez surtout les constats, pas les interprétations.
Écouter plus que parler
Le but n’est pas d’expliquer les règles, ni de rappeler la procédure.
C’est d’écouter. De créer un espace où la parole peut circuler, même sur des sujets délicats.
Le silence est parfois plus puissant qu’un bon discours.
Valoriser ce qui est bien fait
N’attendez pas la fin pour le dire. Si un comportement vous semble juste, saluez-le.
Un salarié qui sécurise un geste, un manager attentif à son équipe, un aménagement pertinent…
La reconnaissance est un vecteur de culture sécurité à part entière.
La Gemba Walk est un moment de présence, pas de performance.
C’est dans l’authenticité de la rencontre que naît la confiance.
Et c’est la confiance qui permet d’aller plus loin… dans la prévention comme dans la culture.
VI . Après la Gemba Walk : valoriser et agir
Une Gemba Walk ne se termine pas quand on quitte le terrain.
Elle se termine quand ce qui a été vu, entendu, ressenti… trouve une suite utile.
Le vrai impact d’une Gemba Walk se joue dans les heures et les jours qui suivent.
- Donner un retour aux équipes
Même si rien n’a été “grave”, il est essentiel de revenir vers les personnes croisées :
- Pour dire merci,
- Pour valoriser un point positif,
- Pour montrer que ce moment n’était pas juste “symbolique”.
Une simple phrase peut faire la différence :
“Merci pour ton retour, ça nous a donné matière à réfléchir. Voici ce qu’on en retient.”
- Traiter un ou deux points concrets, pas tout à la fois
Inutile de lancer un plan d’action XXL.
Prenez un point à fort impact, ou facile à corriger rapidement, et agissez.
Cela montre que la Gemba Walk n’est pas juste une remontée d’infos, mais un vrai levier d’amélioration continue.
- Capitaliser ce qui a été observé
Selon les cas :
- Vous pouvez formaliser la Gemba Walk sous forme de mini-compte-rendu,
- L’utiliser comme base pour un A3,
- Ou alimenter un retour d’expérience (REX).
Mais attention : ne basculez pas dans la paperasse.
Capitaliser, ce n’est pas documenter pour documenter.
C’est ancrer l’apprentissage dans l’organisation.
- Planifier la suite
La Gemba Walk n’est pas un “one shot”. C’est un outil à intégrer dans un rythme, un calendrier, un rituel.
Même si ce n’est qu’une fois par mois, l’important est la régularité :
“On revient, on continue, on apprend avec vous.”
Ce qu’on observe n’a d’intérêt que si l’on agit. Et ce qu’on valorise… façonne la culture.
Avec ces deux leviers — action + reconnaissance —, la Gemba Walk devient bien plus qu’un outil Lean : elle devient un acte managérial fort, porteur de transformation culturelle en HSE.
VII - Les erreurs à éviter
La Gemba Walk est un outil simple… mais exigeant.
Mal utilisée, elle peut rapidement perdre son sens, voire produire l’effet inverse : méfiance, lassitude, désengagement.
Voici les erreurs les plus fréquentes — et comment les éviter.
- Venir pour “inspecter”
Si la Gemba Walk ressemble à une mini-inspection surprise, avec carnet à la main et regard suspicieux, c’est raté.
Le terrain se referme. Les équipes s’adaptent… mais ne s’expriment plus.
À faire : adopter une posture d’écoute, pas de contrôle. Ce n’est pas le moment de vérifier, c’est le moment de comprendre.
- Repartir sans retour ni suite
Une Gemba Walk sans trace, sans feedback, sans action = un rituel vide.
Cela décrédibilise la démarche dès la première fois.
À faire : toujours revenir vers les équipes, même brièvement, même si “on n’a pas encore tout réglé”.
- Chercher à tout voir, tout régler, tout formaliser
Une Gemba Walk n’est pas un audit complet, ni une usine à plans d’action.
Vouloir tout traiter d’un coup, c’est l’assurance de diluer l’impact.
À faire : se fixer un focus clair (un thème, une zone, un enjeu) et concentrer les efforts sur quelques points-clés.
- Déléguer “à ceux qui ont le temps”
La Gemba Walk, c’est un acte de leadership.
Si elle est déléguée à un animateur ou stagiaire sans légitimité, l’impact culturel est quasi nul.
À faire : impliquer les managers de proximité, les référents sécurité, les responsables opérationnels.
C’est leur présence qui transforme la démarche.
- Ne la faire qu’une fois… pour montrer qu’on l’a faite
Une Gemba Walk ponctuelle, lancée sous la pression ou pour cocher une case qualité, n’a aucun effet profond.
La culture ne se change pas par événement. Elle se construit dans la répétition.
À faire : inscrire les Gemba Walk dans un rythme régulier, même modeste. Mieux vaut 15 minutes par semaine que 2 heures par an.
Une Gemba Walk bien menée, c’est un moment de prévention authentique, utile, porteur de sens.
Une Gemba Walk mal menée… c’est juste une présence vide.
Et les équipes, elles, font très bien la différence.
VIII - Conclusion
Aller sur le terrain, on le fait tous.
Mais aller avec l’intention de comprendre, avec la volonté d’apprendre, avec le courage de ne pas tout corriger tout de suite, c’est une autre démarche.
C’est ça, une Gemba Walk.
Un moment où l’on suspend le jugement.
Où l’on écoute, vraiment.
Où l’on regarde ce qui se passe… pas ce qu’on imagine.
En HSE, cette posture change tout.
Elle transforme la relation entre managers et terrain.
Elle fait émerger des signaux qu’aucun indicateur ne détecte.
Elle nourrit une culture où la prévention n’est plus un rappel, mais un réflexe.
La Gemba Walk n’est pas une méthode de plus.
C’est un levier de maturité.
Un pas de côté… pour voir plus juste, et prévenir autrement.