Hoshin Kanri : une méthode efficace pour construire une culture HSE alignée et durable

Et si la sécurité n’était plus un plan d’action, mais une direction stratégique ?

1. Introduction – La prévention hors des radars stratégiques

En matière de santé et de sécurité au travail, les entreprises investissent du temps, des moyens et des formations. Pourtant, bien souvent, la prévention reste cantonnée à un rôle secondaire : celui d’une fonction support, mobilisée à la marge, loin des grandes orientations stratégiques.

Et si c’était justement là que se jouait le véritable changement de culture ?

La méthode Hoshin Kanri, issue du Lean management, propose une approche radicalement différente. Elle permet de transformer une simple politique sécurité en cap stratégique structurant, déployé de la direction jusqu’aux équipes terrain.

Aligner la vision HSE avec les priorités de l’entreprise, définir des objectifs de sécurité partagés, faire vivre ces ambitions par le dialogue et l’ajustement continu : c’est tout l’enjeu d’un Hoshin Kanri appliqué à la prévention.

Dans cet article, vous découvrirez comment inscrire durablement le HSE dans la stratégie d’entreprise, au même titre que la qualité, les coûts ou les délais.

2. Hoshin Kanri : une boussole pour l’action cohérente

2.1 De quoi parle-t-on ?

Hoshin Kanri, ou pilotage de la direction stratégique, est une méthode japonaise conçue pour répondre à une dérive fréquente :

Avoir des objectifs, mais aucun alignement réel entre la direction et le terrain.

Plutôt que d’ajouter des actions au fil de l’eau, Hoshin Kanri propose de :

  • Définir un cap stratégique clair,
  • Aligner les niveaux hiérarchiques autour d’objectifs prioritaires,
  • Piloter ces objectifs dans le temps grâce à une boucle d’ajustement continue.

2.2 Plus qu’un tableau de bord : une direction à suivre

Un tableau de bord dit où on en est.
Hoshin Kanri dit où on veut aller, et comment y arriver.

Il structure :

  • Une vision de long terme,
  • Des objectifs annuels ciblés (les Hoshins),
  • Des plans d’action locaux alignés,
  • Une dynamique de suivi avec le cycle PDCA (voir 2.4).

En prévention, cela permet d’éviter les plans d’action défensifs ou réactifs,
en installant une logique de cap partagé et de progrès durable

2.3 Un dialogue stratégique entre direction et terrain

La force de la méthode, c’est son double mouvement permanent :

  • Top-down : la direction fixe une vision,
  • Bottom-up : les équipes terrain apportent leur réalité, leurs freins, leurs propositions.

Ce va-et-vient s’appuie sur une pratique clé : le Catchball.

Concrètement, le Catchball consiste à faire circuler une intention stratégique entre les niveaux hiérarchiques.

La direction “lance” un objectif, les équipes terrain “renvoient” leurs contraintes ou leurs propositions, et l’échange continue jusqu’à ce qu’un alignement réel soit trouvé.
C’est un vrai dialogue, pas une simple validation.
L’objectif final devient alors partagé, ajusté, et donc plus mobilisateur.

Chaque objectif est discuté, reformulé, adapté à chaque niveau, avant d’être validé collectivement.
Ce n’est plus une cascade de consignes, c’est une construction collective autour du sens et des moyens.

2.4 Le PDCA au cœur du pilotage

Chaque objectif stratégique devient un cycle d’amélioration continue, à la fois structurant et souple.
Le modèle PDCA (Plan – Do – Check – Act) permet de :

  • Planifier les efforts,
  • Agir concrètement,
  • Évaluer les résultats,
  • Ajuster si nécessaire.

Une prévention efficace ne se décrète pas.
Elle se construit dans la durée, par ajustements successifs — pas par injonctions ponctuelles.

3. Pourquoi le HSE a besoin de stratégie

3.1 Une prévention trop souvent cantonnée à l’opérationnel

Dans de nombreuses organisations, la santé et la sécurité au travail restent traitées comme une obligation à gérer, non comme un levier à piloter.
On y associe des gestes techniques, des audits, des plans d’action… mais rarement une vision d’ensemble.

Résultat : la prévention est souvent déconnectée de la stratégie d’entreprise,
subie par les opérationnels, ignorée par le comité de direction, et peu mobilisante à long terme.

3.2 De la conformité au sens

La conformité réglementaire est indispensable. Mais elle ne suffit pas, elle fixe un plancher, là où la stratégie HSE devrait fixer un cap.

Hoshin Kanri permet de sortir de cette logique défensive pour poser une question fondamentale :
Pourquoi fait-on de la prévention, et à quoi doit-elle réellement contribuer dans l’entreprise ?

Sans cette réflexion stratégique, le HSE devient un centre de coûts. Avec elle, il devient un levier de performance, de cohésion, et de résilience.

3.3 Ce que la prévention peut (vraiment) apporter à l’entreprise

Lorsque le HSE est intégré dans la stratégie globale, il peut agir sur :

  • La performance durable : moins d’accidents, c’est moins d’arrêts, moins de désorganisation, plus de stabilité.
  • Le climat social : un engagement sincère sur la sécurité renforce la confiance et la qualité du dialogue social.
  • La marque employeur : dans un contexte de tension RH, la prévention devient un argument fort d’attractivité.
  • L’agilité : anticiper les risques, c’est aussi mieux piloter les transformations.

La prévention n’est pas un coût.
C’est une assurance sur l’avenir, à condition d’être pensée au bon niveau.

4. Intégrer le HSE dans une démarche Hoshin Kanri

4.1 Poser une vision sécurité claire, engageante et alignée

Tout commence par une vision HSE ambitieuse et compréhensible par tous.
Pas une charte affichée au mur, mais une intention forte, structurante, traduite en langage d’entreprise.

Exemples :

  • « Zéro accident n’est pas un slogan, c’est une exigence de rigueur collective. »
  • « Produire sans exposer : notre performance inclut la santé de ceux qui la rendent possible. »

Une vision claire est le socle : elle guide les choix, les priorités, les arbitrages.

4.2 Décliner cette vision en axes stratégiques HSE

Une fois la direction définie, on la traduit en axes stratégiques : 2 à 4 grands objectifs pluriannuels, concrets et mesurables.

Exemples :

  • Réduire les TMS de 30 % en 3 ans
  • Ancrer une culture du signalement des presqu’accidents
  • Intégrer la prévention dès la phase de conception des projets industriels

Chaque axe est ensuite décliné en objectifs annuels réalistes, portés à chaque niveau de l’organisation.

Zoom – La matrice Hoshin : rendre la stratégie lisible d’un seul coup d’œil

Pour que la stratégie HSE soit comprise, partagée et pilotée de façon cohérente, elle doit être visible. La matrice Hoshin, ou X-Matrix, est un outil visuel utilisé pour représenter, sur une seule page :

  • Les objectifs à long terme (vision stratégique à 3–5 ans)
  • Les priorités annuelles (Hoshins) à atteindre cette année
  • Les projets ou plans d’action majeurs associés
  • Les indicateurs clés de pilotage
  • Les responsables et niveaux d’engagement

Sa forme en croix (X) permet de visualiser les relations entre chaque niveau :

  • chaque objectif est relié à un plan d’action,
  • chaque action est reliée à un indicateur,
  • chaque indicateur est rattaché à une personne ou une équipe.

Exemple HSE :

  • Vision : « Produire sans exposer »
  • Hoshin annuel : Réduire les TMS de 30 %
  • Plan d’action : Reconcevoir les postes critiques avec la méthode Ergo-Lean
  • Indicateur : % de postes reconfigurés / taux d’exposition résiduel
  • Responsable : Responsable HSE site + chef de production

Avantage : cette matrice devient un outil de pilotage partagé entre tous les niveaux hiérarchiques. Elle permet à chacun de voir où il contribue, à quoi sert chaque action, et comment cela s’aligne avec les priorités d’entreprise.

4.3 Mettre en place un catchball HSE

Le Catchball, cœur du Hoshin Kanri, consiste à faire circuler les objectifs dans les deux sens :

  • Top-down : la direction propose une orientation
  • Bottom-up : les équipes ajustent, enrichissent, s’approprient

Dans une démarche HSE, le Catchball est essentiel pour éviter les objectifs hors-sol
et favoriser l’implication de ceux qui connaissent les réalités du terrain.

C’est aussi un excellent levier pour faire remonter les freins, incohérences ou contraintes systémiques qui nuisent à la prévention.

4.4 Suivre par des indicateurs vivants (et pas seulement réglementaires)

Trop souvent, le pilotage HSE repose sur des indicateurs tournés vers le passé : fréquence, gravité, taux d’incidents.

Avec Hoshin Kanri, on introduit une logique proactive et systémique :

  • Taux de réalisation d’actions de fond
  • Nombre de suggestions d’amélioration HSE
  • Qualité du traitement des signaux faibles
  • Indicateurs de charge de travail et d’exposition cumulée

Il ne s’agit plus de constater des écarts, mais de piloter le cap de manière dynamique et partagée.

5. Exemples de déclinaisons HSE concrètes

5.1 Réduire les TMS : un axe stratégique à cascader

Vision : « Protéger la santé durable des opérateurs est un pilier de notre excellence industrielle. »

  • Axe stratégique HSE : Réduire les troubles musculosquelettiques (TMS) de 30 % d’ici 3 ans.
  • Objectifs annuels :
    – Année 1 : Identifier les postes à forte exposition et former 100 % des managers de proximité à l’observation active.
    – Année 2 : Reconcevoir 30 % des postes critiques avec la méthode Ergo-Lean;
    – Année 3 : Réduire de 25 % les sollicitations physiques élevées.

Indicateurs de pilotage : nombre de situations améliorées, taux d’exposition résiduel, implication des équipes terrain via le Catchball.

5.2 Culture du signalement : changer le rapport au risque

Vision : « Mieux prévenir, c’est mieux voir. Mieux voir, c’est mieux remonter. »

  • Axe stratégique HSE : Favoriser la détection précoce des signaux faibles.
  • Objectifs annuels :
    – Sensibilisation de tous les encadrants au management des presqu’accidents.
    – Intégration d’un indicateur “remontées volontaires” dans les rituels de pilotage.
    – Co-construction de solutions avec les équipes suite à chaque signalement.

Indicateurs de pilotage : nombre de remontées, délais de traitement, nombre de solutions issues du terrain.

5.3 Sécurité intégrée aux projets : prévention dès la conception

Vision : « Ce qui n’est pas anticipé devient un risque. La sécurité se pense avant de se produire. »

  • Axe stratégique HSE : Intégrer systématiquement la prévention dans les projets industriels.
  • Objectifs annuels :
    – Mise en place d’une revue HSE en phase de conception (avant tout achat ou installation).
    – Formation des chefs de projets à l’analyse de risque préventive.
    – Ajout d’un critère “impact HSE” dans la validation de tout nouveau process.

Indicateurs de pilotage : taux de projets intégrant une revue HSE, nombre d’anomalies détectées avant mise en service, fréquence des retours correctifs.

Ces exemples montrent qu’un plan Hoshin HSE bien construit permet d’agir à la racine, d’impliquer les équipes, et de piloter avec cohérence dans la durée.

6. Ce qui peut faire échouer la démarche

6.1 Des indicateurs HSE déconnectés des enjeux métiers

Le premier piège, c’est de continuer à piloter la prévention avec des indicateurs uniquement défensifs ou réglementaires :
taux d’accidents, conformité documentaire, nombre de formations…

Ces données sont utiles, mais elles n’indiquent pas si la sécurité progresse vraiment ni si elle sert la stratégie globale.

Un bon indicateur Hoshin HSE devrait :

  • Être porteur de sens pour les équipes,
  • Avoir un lien direct avec l’activité réelle,

Et guider les décisions plus qu’il ne sert à constater les écarts.

6.2 Une stratégie descendante non partagée

Un Hoshin “papier”, conçu par le top management sans dialogue avec les opérationnels, est condamné à rester décoratif.

Sans appropriation, pas d’alignement.
Sans alignement, pas d’impact.

Le Catchball n’est pas un bonus participatif :
c’est la condition pour que le cap stratégique HSE soit compris, adapté et vécu.

6.3 L’absence de boucle de retour terrain

Piloter un plan stratégique sans retour d’expérience, c’est comme conduire sans tableau de bord.

Sans boucle d’ajustement continue (PDCA), la stratégie HSE devient figée, voire contre-productive.

Il est essentiel de :

  • Revenir régulièrement sur les objectifs,
  • Analyser ce qui freine ou facilite,
  • Accepter de corriger ou de re-prioriser.

Le vrai courage stratégique, c’est d’accepter que tout ne se passe pas comme prévu, et d’en tirer des apprentissages.

6.4 Oublier les contraintes concrètes du terrain

Dernier point d’alerte : vouloir tout transformer sans tenir compte du quotidien des équipes.

Exemples :

  • Lancer un grand plan de signalement sans avoir désengorgé le traitement des anomalies.
  • Fixer des objectifs de baisse des AT sans parler du sous-effectif ou des cadences.

Une stratégie HSE déconnectée des irritants réels perdra toute légitimité.

Un bon Hoshin HSE est à la fois visionnaire et ancré dans le réel.

6.5 Des freins politiques et culturels sous-estimés

Au-delà des outils et indicateurs, ce sont souvent les dynamiques humaines, politiques ou culturelles qui empêchent une démarche Hoshin HSE de prendre racine.

a) L’ego stratégique : difficile de reconnaître qu’on n’a pas (encore) intégré la prévention

Lancer une démarche Hoshin Kanri appliquée à la prévention, c’est reconnaître implicitement que le HSE n’était pas jusque-là intégré à la stratégie. Ce constat peut heurter certaines directions qui préfèrent afficher une maîtrise totale plutôt que rouvrir des sujets sensibles.

Repenser la stratégie, c’est aussi accepter qu’elle n’était pas complète. Et cela demande du courage.

b) Les jeux de pouvoir entre fonctions

Le HSE traverse toutes les lignes de l’organisation : production, RH, qualité, ingénierie, finance… mais ne “possède” souvent aucune d’entre elles. L’instauration d’un Hoshin partagé suppose un réel travail d’alignement inter-fonctionnel.

Si chaque direction garde sa logique et ses indicateurs propres, sans accepter un cap commun, alors le Hoshin HSE devient invisible ou secondaire.

c) La dictature du court terme

Certaines organisations, sous pression de résultats trimestriels ou d’indicateurs financiers, peinent à s’inscrire dans une dynamique à 3 ou 5 ans. Or Hoshin Kanri demande justement de penser dans la durée, avec des objectifs structurants, progressifs, souvent non immédiatement rentables.

Une démarche HSE alignée, ça ne se voit pas en 3 mois. Mais ça se mesure en accidents évités, en confiance gagnée, en stabilité durable.

d) Une culture de l’injonction plutôt que du dialogue

Hoshin Kanri repose sur la co-construction, le dialogue stratégique, la reformulation. Cela suppose une posture managériale ouverte, à l’écoute, capable de dire « je ne sais pas encore » ou « construisons-le ensemble ».

Dans les cultures d’entreprise où la décision descendante reste la norme, la pratique du Catchball peut vite devenir une mise en scène sans échange réel.

7. Conclusion – Piloter la prévention par le cap, pas par les écarts

Trop souvent, la prévention est pilotée en réaction : on agit après les incidents, on analyse les écarts, on corrige les dérives.
Mais anticiper, engager, aligner… demande une autre posture. Une posture stratégique.

C’est là que Hoshin Kanri apporte une vraie valeur ajoutée au HSE.
Il ne propose pas une nouvelle méthode de plus. Il propose un changement de perspective :

faire de la prévention un objectif d’entreprise, pas un sujet de conformité.

Grâce à lui :

  • la sécurité retrouve du sens,
  • les actions deviennent cohérentes dans le temps,
  • les équipes terrain sont impliquées dès la phase de construction,
  • et les indicateurs servent à piloter, pas à sanctionner.

Hoshin Kanri n’est pas une baguette magique. Mais il peut devenir une boussole puissante pour celles et ceux qui veulent construire une culture sécurité durable, alignée, et stratégique.

Et vous, votre plan HSE… il montre où vous allez, ou juste ce que vous avez évité ?

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